C’est l’un des films événement de 2021, récompensé par le César de la Meilleure Actrice. Dans Aline, Valérie Lemercier rend hommage à son idole Céline Dion en lui créant un clone de cinéma au parcours tout aussi impressionnant et à la voix tout aussi spectaculaire. Mais, pour être raccord avec le parti pris de ce faux biopic, ce n’est pas le timbre de la star internationale mais celui de la non moins talentueuse Victoria Sio que l’on entend à l’image. Invitées par le festival du film francophone d’Angoulême à organiser une Masterclass Hors les murs avec la réalisatrice, les équipes de Soeurs Jumelles tendaient leur micro à l’artiste, le temps d’une interview en compagnie de la chanteuse du film.
Valérie, comment avez-vous choisi les chansons que l’on entendrait dans le film ?
Valérie Lemercier : J’ai choisi celles que je préférais, celles qui vont avec la scène, qui racontent quelque chose. Pour chaque âge. Toutes les chansons étaient prévues à l’avance et toutes veulent dire quelque chose sur l’avancement : ce sont toujours des gens très proches d’elle, Eddy Marnay ou Jean-Jacques Goldman par exemple, qui écrivaient ses paroles. Ils savaient ce qu’elle traversait. Pour “Ziggy” par exemple, j’ai fait les deux versions pour le film : en français et en anglais. Mais, comme c’est au moment où elle commence à devenir un peu internationale, j’ai choisi la version anglaise. Pour d’autres chansons, je n’ai pas eu les droits. Après, il y a aussi des musiques que l’on a trouvées pendant le montage, des chansons des autres… Je ne savais pas par exemple qu’elle avait chanté “Nature boy” de David Bowie qui est devenu le grand thème d’amour du film.
Pourquoi ne pas avoir pris sa voix pour les chansons ?
VL: Très vite, on s’est dit : “C’est Aline, d’autres protagonistes. Il faut qu’on trouve LA voix”. Ça a été d’abord compliqué de trouver une artiste : la barre est tellement haute. On a entendu 50 chanteuses qui avaient le niveau… Mais c’est quoi ta tessiture Victoria ?
Victoria Sio : Je suis mezzo soprano. Mais Céline est soprano, plus haut.
VL : Sur 50 chanteuses, il en est resté quatre qui me plaisaient beaucoup et on a tapé sur le buzz…
VS : Je vous veux !
VL : Comme dans The Voice !
Que cherchiez-vous dans cette voix ?
VL : Je ne voulais surtout pas que Victoria l’imite, qu’elle la singe, s’en moque. Il fallait être dans le respect total et la distance. Elle l’a chantée à tous les âges, même à 12 ans, et s’est coulée dans les scènes. Elle a regardé l’actrice et s’est mise dans la peau, non pas de Céline, mais d’Aline. Et il fallait évidemment monter aussi haut, avoir la puissance, la force, la fantaisie parce que Céline est un clown. Elle est très drôle et Victoria aussi d’ailleurs. Les chansons où elle s’amuse, où elle envoie, c’était très marrant à faire. Victoria a fait toutes les palettes de Céline, à la fois la grande douceur et la grande pureté comme le côté olympique de son chant, très très spectaculaire.
VS : Valérie me disait : “Je veux que ce soit facile.” Or, chanter Céline Dion, ce n’est pas facile. Mais, pour le spectateur, il fallait que ça ait l’air simple.
VL : C’est ce qui me fascine chez Céline : tout ce qu’elle fait, même quand elle joue au golf, c’est facile. Elle y va, et ça marche.
Victoria, est-ce Valérie qui vous dirigeait pour chanter ?
VS : Ma première coach, c’est elle, oui. Elle me mettait en condition : pourquoi cette chanson à ce moment-là, comment je devais la chanter, à qui elle était adressée…Il fallait qu’il y ait ce petit supplément d’âme dans la voix, un petit supplément de jeu, je crois aussi. Que ça colle aussi à son corps, son labial.
VL : Je lui disais : “Cette chanson-là, elle ne la chante que pour son fils. Elle est au stade de France… Il y a 80 000 personnes mais il y a une personne à qui c’est adressé.” Edith Piaf disait : “Le public, c’est l’amant aux 1000 bras”. C’est un peu vrai et Céline a beaucoup chanté pour son fils qui était là tous les soirs. Parfois, elle chante pour sa mère…
VS : Pour sa mère, c’était quelque chose. On a refait une chanson d’ailleurs parce qu’il manquait ce petit truc de faille, de fêlure, entre la mère et la fille. C’était fort.
D’une certaine façon, vous êtes finalement actrice dans ce film, Victoria ?
VS : Je n’avais jamais fait ça : être dirigée à ce point. Une synchro poussée. On apprend les chansons de Céline Dion et on a des repères bien précis. Et puis en arrivent d’autres en regardant Valérie / Aline, à l’image. Il faut se mettre dans la peau du personnage. Il y a une scène où Aline est dans la salle de bain, écoute un son et joke toute seule, devant sa glace, avec sa brosse à dents. Moi, dans le studio, j’avais apporté une brosse à dents pour jouer la même chose. Je bougeais, je la mettais dans ma bouche quand elle la mettait dans sa bouche pour que ça ait l’air vraiment pareil.
VL : Elle fait aussi beaucoup de vocalises dans la loge et, moi, malheureusement, je ne suis pas capable de les reproduire. Même si, parfois, pour ces petites choses-là, ou des trucs d’émotion, on mixait un peu nos deux voix.
VS : Et ça marche super bien !
VL : Sur une respiration… Mais très peu et pas sur le chant pur. Plutôt quand elle déconne.
Vous avez aussi réarrangé les musiques ?
VL : Toutes ! On a refait les cordes… Par exemple, certains savent que Céline ne voulait pas chanter Titanic. Elle a fait une maquette qu’ils ont utilisée dans le film. Après, elle l’a rechantée aux Oscars avec évidemment des musiciens, des vrais, mais nous, on l’a fait directement avec 24 violons au studio Guillaume Tell, sous la direction de Rémy Galichet.
VS : On a fait des chansons en live aussi.
VL : Ça donne une tension, comme celle qu’on a sur les tournages ou au théâtre, où, tout-à-coup, on y va, on ne sépare pas toutes les choses. Enfin, voilà, c’était très émouvant de l’entendre avec les musiciens.
Images : Peggy Bergère
Interview : Marilyne Letertre
Montage : Anna Fonso
Extraits du film © Gaumont
Photo de couverture © Jean-Marie Leroy / Rectangle Productions
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