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Oriane Hurard, productrice VR: « La seule contrainte pour la musique, c’est le budget »

Le choix et la place de la musique dans une œuvre VR sont souvent l’affaire du réalisateur. Mais la personne aux manettes, celle qui détient les cordons de la bourse, a aussi son mot à dire. Oriane Hurard, productrice chez Les Produits Frais, nous explique ce travail si spécifique de la musique au sein de réalité virtuelle, à travers deux créations qu’elle a produites, Meet Mortaza et Les Passagers : Elle et Lui.

Afin de comprendre comment la musique intervient dans votre métier, pouvez-vous nous raconter le métier de productrice dans la VR ?
De l’idée initiale à la diffusion de l’œuvre, je conçois vraiment mon métier comme un accompagnement. Je vais à la fois chercher des financements pour des œuvres qui coûtent en moyenne entre 100 000 et un million d’euros, mais je prends aussi en charge la partie juridique et légale. Nous avons en effet la responsabilité de l’œuvre. Une autre part importante du travail, celle que je préfère, concerne l’accompagnement artistique et éditorial pour aider l’auteur ou l’autrice à mettre des mots, des images et des sons sur sa vision, pour l’aider à accoucher de son film, de son expérience, de sa série. Dans la réalité virtuelle, la spécificité du métier est liée à la jeunesse de l’industrie qui n’a que quelques années. Au sein de ce petit secteur qui n’est pas encore totalement mature, il y a ce que moi je produis, à savoir des œuvres narratives qui posent un regard d’auteur sur le monde, qu’il s’agisse de documentaire ou de fiction. C’est une niche dans la niche de la VR. Pour que ces projets atypiques voient le jour, il a fallu inventer des modèles qui, s’ils s’inspirent du cinéma, de l’animation ou du jeu vidéo, restent novateurs.

Cette innovation, on la retrouve dans l’utilisation de la musique. Quelle importance revêt-elle dans la réalité virtuelle?
Cela dépend des projets, de la sensibilité de l’auteur ou de l’autrice, ou encore du sujet. Sur certaines œuvres, cette question va s’imposer. Sur d’autres, moins. Cette année, j’ai produit Meet Mortaza de Joséphine Derobe, un documentaire franco-belge sur un Afghan qui a quitté son pays en 2008 pour se réfugier en France suite à une fatwa lancée sur sa tête. Il avait d’abord raconté son histoire dans un livre. Quand la réalisatrice est tombée sur ce récit, elle a voulu l’adapter en documentaire 360°, avec prises de vues réelles et en relief. Nous sommes revenus sur les étapes de son voyage pour le raconter de manière plutôt onirique, afin de se différencier des reportages de JT sur la question des migrants. En donnant à l’utilisateur la possibilité d’incarner cette personne dans l’expérience, nous voulions lui faire ressentir le sentiment d’exil, la peur, l’espoir. Dès lors, la musique a pris une place importante, essentielle. Notre sound designer Côme Jalibert a eu l’idée de nous mettre en contact avec Interzone, un duo dont la musique voyage entre l’Orient et l’Occident. Serge Teyssot-Gay est l’ancien guitariste de Noir Désir et Khaled Aljaramani est un joueur de oud syrien réfugié en France. Leur musique agit comme un trait d’union entre les deux cultures qui caractérisent notre héros Mortaza.

A ce moment-là, la question du budget qui m’incombe est entrée en jeu. Il était très petit donc insuffisant pour payer une composition originale ou acheter les droits des chansons du groupe. Mais enthousiasmés par notre projet, ils nous ont donné gratuitement les pistes d’un de leurs albums, en séparant chaque instrument pour que nous puissions les réarranger à notre guise. Leur ingénieur du son a travaillé avec le nôtre pour qu’on puisse les re-spatialiser dans l’espace 360° de l’œuvre. L’oud syrien pouvait par exemple être placé à droite, la guitare à gauche, et les deux pouvaient s’unir au centre de la sphère. Dans la réalité virtuelle, il faut que le son vienne de là où il est joué. Il aide à se repérer dans l’espace et contribue ici à l’atmosphère onirique.

“Serge Teyssot-Gay est l’ancien guitariste de Noir Désir et Khaled Aljaramani est un joueur de oud syrien réfugié en France. Leur musique agit comme un trait d’union entre les deux cultures qui caractérisent notre héros Mortaza. “

Dans la VR, la musique et le son peuvent donc agir comme dans la vraie vie, comme un moyen de nous spatialiser…
Complètement. On dit souvent de manière un peu galvaudée que la VR est le média de l’immersion mais c’est vrai. Le son et la musique contribuent énormément à cette sensation. Comme dans la vie de tous les jours, ils nous donnent des indications et du sens. En VR, nous essayons de raconter une histoire en 360°, or le spectateur ne peut pas regarder partout à la fois. Alors, comment le guide-t-on ? Par le son, les bruitages, la musique. Ils prennent le pas sur l’image pour vraiment guider la mise en scène. Il y a ensuite plusieurs façons de poser cette musique. Elle peut être mixée de manière classique, en stéréo, placée au centre de la sphère pour accompagner le spectateur de manière « non-diégétique ». A contrario, comme sur Meet Mortaza, elle peut envelopper celui qui fait l’expérience, être mouvante en fonction de là où on regarde, de là où on se place. Elle accompagne et enrichit le récit mais n’a pas de rôle interactif, elle ne dit pas au spectateur où aller et où regarder. Dans ce cas, l’utilisation de la musique est proche du sound design.

Avez-vous un autre exemple de l’utilisation de la musique ?
Dans l’expérience franco-canadienne Les Passagers de Ziad Touma, le compositeur David Drury a créé une musique générative interactive, assez proche de ce que l’on peut faire dans le jeu vidéo. Elle aide à comprendre ce qui est demandé dans l’expérience et à faire entendre au spectateur s’il est sur la bonne piste ou non, tout en donnant des informations supplémentaires. Ainsi, certaines planches de musique changent en fonction de là où regarde l’utilisateur. S’il tourne la tête en bas à droite ou à gauche, la musique devient un peu plus lente, un peu plus mélancolique ou au contraire plus guillerette. On garde la même musique, la même base, les mêmes instruments, mais le tempo change grâce à des transitions fluides. C’est assez subtil, le spectateur ne s’en rendra pas toujours compte mais, ajoutée à d’autres effets, elle lui permet de prendre conscience de son pouvoir sur le déroulement de l’histoire.

Y a-t-il un type de musique que l’on privilégie à un autre pour la VR?
Rien n’est interdit. Dans Meet Mortaza, il s’agit de musiques pré-existantes que nous avons réarrangées. Dans Les Passagers, qui se déroule dans un train, la composition se modifie subtilement. Et, lors des flashbacks qui se déclenchent en fonction du passager du wagon que l’on regarde, nous avons aussi utilisé une chanson préexistante : « Le temps est bon »d’Isabelle Pierre. C’est un titre très connu au Québec, devenu un tube chez nous grâce au remix de Bon Entendeur. On s’est procuré les droits de la chanson originale et de son remix puis nous avons enregistré une version acoustique et une autre variation, type « sonnerie de téléphone portable ». Ces quatre moutures nous permettent de coller aux expériences de nos quatre personnages passagers. Elles sont spatialisées à un endroit donné dans chacun de ces flashbacks et permettent de créer une sorte de fil rouge supplémentaire.

Il n’y a donc aucune règle artistique  ?
La seule contrainte, c’est le budget, le principe de réalité. Je ne connais pas d’expérience VR qui aurait fait appel à un orchestre symphonique pour sa musique. C’est bien trop cher, tout simplement. Si un film à plusieurs millions d’euros peut se le permettre, une œuvre VR à quelques centaines de milliers d’euros ne le peut pas. C’est la même chose pour la synchro. La chanson d’Isabelle Pierre et son remix ont déjà représenté un véritable budget mais si nous avions voulu utiliser du Rihanna, ça n’aurait pas été faisable. Evidemment, les ayant-droits et les majors savent que notre économie n’est pas celle du cinéma et s’adaptent mais cela reste quand même parfois hors-budget. Si demain quelqu’un voulait faire une expérience VR avec des tubes des années 1980, je lui expliquerais gentiment que cela risque d’être compliqué.

Site Les Produits Frais : http://www.lesproduitsfrais.com/

Par Perrine Quennesson

Photo de couverture : @ATLASV

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