Rencontre
de la Musique
et de l'image

Olivier Marguerit : « Il faut être en mouvement pour composer pour l’image »

Multi-instrumentiste, auteur, interprète, mais aussi arrangeur et compositeur membre de la SACEM, Olivier Marguerit, qui avait déjà signé la musique du premier film d’Arthur Harari Diamant noir, a collaboré à la bande originale de son second-long métrage Onoda. Dans le cadre des temps forts Sacem à Cannes où le film était sélectionné à Un Certain Regard, Sœurs Jumelles a rencontré cet amoureux des notes et des images qui envisage la composition comme une respiration dans sa carrière (chargée) de musicien.

Comment est née votre envie de composer pour l’image ?
Je ne viens pas du tout de cet univers, mais du concert, de la réalisation d’album et de la chanson. J’ai vraiment une culture pop, mais je m’intéresse depuis toujours au cinéma. Un jour, j’ai rencontré une réalisatrice avec laquelle je vis aujourd’hui. Elle m’a beaucoup sensibilisé à la fabrication des films et m’a fait composer pour elle. Avant de le faire en solo, j’avais composé la musique du film La question humaine avec le groupe Syd Matters avec lequel je jouais : un exercice difficile en groupe car il faut travailler de façon encore plus collaborative. La technique qu’on avait trouvée était d’improviser en direct sur les images. Le travail que j’ai fait ensuite a été très différent.

Que change la composition pour l’image d’un point de vue créatif ?
Le matériel est le même, on fait de la musique. Mais la place qu’elle prend est différente. Dans un film, une partie énorme du récit est prise en charge par l’image, par la parole. La musique doit trouver sa place là-dedans. Elle n’est pas du tout au premier plan et quand elle l’est, c’est ponctuellement. Il s’agit donc de fabriquer quelque chose qui soit lisible rapidement. Non qu’il faille chercher la facilité mais, selon moi, il faut trouver une façon de présenter les choses très clairement. Que ce soit identifiable, avec une mélodie, une couleur instrumentale, quelque chose de thématique. Comme je n’ai pas des milliers de cordes à mon arc, j’essaye de faire avec mes petits moyens en m’éloignant des scores ou des underscores classiques qui consistent à créer une musique sous l’action, que l’on n’entend pas vraiment, qui accompagne, qui illustre. Je travaille beaucoup plus comme le faisaient Morricone ou Legrand dans les années 60-70 avec des thèmes forts, des mélodies identifiables.

Qu’est-ce qui vous plaît dans la composition pour l’image ?
On est beaucoup moins dans la lumière que lorsque l’on fait des chansons. Il y a un gros travail de studio, d’enfermement, que je trouve agréable, notamment parce que le temps est plus diffus. Et puis, c’est aussi une rencontre avec un réalisateur, un échange, une discussion. Chaque réalisateur a ses propres obsessions, ses méthodes de recherche, ses centres d’intérêt et, de notre rencontre naît une musique que je n’aurais pas pensée de la même façon en solo. Cette interaction oriente et teinte ce que je fais. Il y a d’ailleurs un travail intellectuel à faire au début pour comprendre ce que le réalisateur a dans la tête, pour transcrire cette parole qui ne vient pas d’un musicien. Mais essayer de comprendre la psyché de quelqu’un et le servir au mieux avec ton savoir-faire instrumental est très agréable. Pour moi qui ai une double activité, la composition pour l’image est une respiration.

C’est votre deuxième collaboration avec Arthur Harari. Comment a évolué votre relation ?
C’est assez particulier car je ne compose pas la totalité de la musique d’Onoda. Pour des questions de co-production, la B.O. a été conçue de façon collaborative avec des musiciens italiens. Ils avaient écrit beaucoup de musiques, mais il manquait un thème à Arthur. Comme il m’avait parlé du film très en amont, j’avais déjà écrit quelques trucs. On a repris un de mes thèmes en fonction de la couleur thématique qui lui manquait. Après, il y a eu tout un travail collectif d’élaboration de la musique avec les Italiens : c’est très rare dans la musique à l’image où, souvent, tu as un compositeur et des instrumentistes. Nous étions cinq cerveaux au service de cette musique, ce qui n’est pas forcément facile. Mais comme tout le monde y a mis de la bonne volonté, il y a une belle unité au final.

“Quand on compose pour l’image, on doit être en mouvement, travailler de manière élastique, car tout peut changer jusqu’à la fin. Rien n’est figé.”

Quelle est la couleur musicale du film ?
Onoda est un film qui raconte la trajectoire d’un soldat japonais lors de la seconde guerre mondiale : il va continuer à faire la guerre tout seul, sur une île, pendant 20 ans. C’est une plongée dans une sorte de folie intérieure. Avec Arthur et les Italiens, on a décidé assez rapidement de ne pas l’aborder comme un film de guerre traditionnel -avec des musiques tonitruantes et beaucoup d’effets- ni de traiter la couleur exotique. Cela aurait pu être une piste dans le contexte japonais. On voulait éviter ces écueils, et trouver une musique qui raconterait l’intériorité du personnage, son inconscient, sa plongée dans une folie contenue. Laquelle aboutit finalement sur une forme de sérénité.

Quelles indications vous avait donné Arthur Harari au départ ?
A un moment, il imaginait une couleur folk pour cette B.O. Il voyait un son très âpre, dur, peu arrangé, organique. Mais, finalement, on s’en est éloigné au fur et à mesure. Et, dès le début, il y avait cette idée de mélodie étirée. Pour le thème que j’ai composé, j’aimais bien l’idée qu’il y ait beaucoup de changements harmoniques qui ne sont pas forcément attendus pour raconter une forme de trouble. Comme le personnage se perd, je voulais retrouver cela dans la musique. J’ai pris comme référence l’école romantique française du début du XXème siècle, Debussy par exemple, avec des chromatismes, des extensions, pour donner cette couleur vaporeuse.

Qu’est-ce qui fait qu’une musique de film est réussie ?
Il n’y a pas une bonne musique de film. Sur chaque long-métrage, il pourrait y avoir 10 compositeurs différents. La magie naît de l’inspiration du compositeur qui rencontre la vision du réalisateur. Tu as tes appétences, ton savoir-faire, tes réflexes, mais il y a toujours une surprise dans le résultat final. Il y a aussi un aspect technique assez différent de la musique traditionnelle : on doit être en mouvement, travailler de manière élastique, car tout peut changer jusqu’à la fin. Rien n’est figé.

Y-a-t-il un genre cinématographique sur lequel vous aimeriez travailler ?
Il y a toujours le fantasme de la comédie musicale car je suis un grand fan de Michel Legrand et Jacques Demy. Ma passion du cinéma est sans doute née avec Les Parapluies de Cherbourg. J’aimerais faire un film où la musique serait un personnage central.

Propos recueillis par Pierre Lesieur

Photo de couverture © Frankie et Nikki / Photo Onoda © bathysphere

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