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Musique française et pub : l’union fait la force

Mouloudji, Aznavour, Piaf, Pomme… Musique française et publicité vivent depuis quelques temps une véritable lune de miel. Mais d’où vient cette soudaine passion des annonceurs ?


“J’ai tant rêvé pour ne pas gagner / J’ai tant pleuré pour t’ignorer”. Il y a deux stars dans la dernière pub Aigle de l’agence BETC : la doudoune jaune iconique de la marque et le tube aux accents rétro du groupe français Pépite : “Les Bateaux”.

“Il y a un réel sursaut du made in France. Certains annonceurs français se disent : nous avons de la bonne musique, jouons la carte française.” explique Sébastien Cayla, directeur synchro chez Kobalt. “Cette tendance dure peut-être aussi parce que nous vivons une époque un peu perturbée : cette musique  véhicule des valeurs assez rassurantes. Alors que le monde devient anxiogène, on se sent chez nous, on est dans une zone de confort.” Ce professionnel de la pub sait de quoi il parle : il a donné le la pour le spot Intermarché, celui de “L’amour, l’amour, l’amour” de Mouloudji qui, en 2017, a remis la chanson française au goût du jour chez les annonceurs. Depuis, Charles Aznavour a rythmé le spot du Crédit Agricole, Edith Piaf s’est invitée chez Diesel, Joe Dassin chez Bouygues Télécom, Hervé chez Carte Noire, The Blaze chez Chloé, Pomme chez La Redoute… “Ils ont amorcé la pompe de la francisation des bandes son et ont installé une tendance de fond et une humeur.”, reconnaît Hélène Daubert, productrice exécutive chez Division. Elle-même a surfé sur la vague dans un spot Orange et Apple ambiancé par le célèbre “Pour un flirt” de Michel Delpech et dans un spot Carrefour, pour les 60 ans de la marque. La bande son est certes en italien mais signée Françoise Hardy.

Radio nostalgie
Hélène Daubert confirme “assumer complètement un truc old school, suranné, nostalgique” mais se veut plus réservée sur le côté “made in France” : “Ce sont des vieux tubes surtout ! Plus que d’affirmer une identité française pure et dure, il s’agit d’appuyer sur le côté nostalgique, “madeleine”. Ça marche toujours, c’est une vieille recette.”

En période de Covid, ou de crise tout simplement, la musique française rassure, réconforte et nous plongerait dans un cocon incitant davantage à la consommation. Intermarché l’a bien compris et poursuit sur sa lancée avec Henri Salvador et son “J’ai tant rêvé” pour Noël, Benjamin Biolay et sa reprise de “C’est magnifique” pour les 50 ans de l’enseigne, Nina Simone en français avec “Vous êtes seuls mais je désire être avec vous” pour la fin du confinement et aujourd’hui Terrenoire et “Jusqu’à mon dernier souffle” pour rendre hommage aux soignants pendant la période de Fêtes… Une saga est née.

Mais si la tendance s’est accrue, elle ne date pas d’hier. Hélène Daubet explique : “Il y a toujours eu des passerelles, il y a toujours eu des artistes français travaillant pour la pub : Naïve New Beaters par exemple ou, plus historiquement, Richard Gotainer…” Sans remonter à l’inoubliable “Belle des champs” du chanteur, la French touch a fait souffler un vent de fraîcheur sur la publicité. D’abord en sous-main, via des compositions originales de Sébastien Tellier ou Mr. Oizo (le “Flat beat” de Levi’s est devenu un tube) puis avec des tubes, de Justice (“Genesis” pour Ubisoft, “New Lands” pour Téléfoot), La Femme (“Sur la planche” pour Renault Capture) ou Sebastian (“Run for me” pour Lacoste). Et si nombre de ces compositions françaises sont encore chantées en anglais, comme le dit enfin judicieusement Hélène Daubert, qu’il s’agisse d’artistes en vogue ou de standards du répertoire, la musique française, “c’est  toujours chic”.

Vous parlez français ?
Ou plutôt, ça l’est devenu. “Il y a eu pendant des années une sorte de rejet dans la pub”, admet Sébastien Cayla. La problématique est simple et clairement identifiée par les acteurs du marché : les paroles des chansons peuvent brouiller le message que les annonceurs veulent faire passer. Elles détournent l’attention du consommateur, quand elles n’entrent pas directement en conflit avec la voix off, omniprésente. De quoi expliquer pourquoi la publicité s’est longtemps cantonnée à singer la musique française, reprenant la musique, détournant les mots : “Trop de blabla” de Princess Erika est devenu “Zéro tracas, zéro blabla” chez MMA, “100% VIP” de Philippe Katerine s’est transformé en “Vachement réussi” pour La Vache qui rit.

Intermarché changera la donne, démocratisera l’utilisation de la chanson française, lui redonnera ses mots et ses lettres de noblesse. La réduction de budgets appuiera la tendance selon Hélène Daubert : “Les titres étrangers sont devenus hors de portée pour des annonceurs qui ne veulent plus dépenser autant d’argent”. Un mal pour le bien de la musique française, de nouveau plus attractive. Sébastien Cayla avance un argument supplémentaire : “On a utilisé pendant longtemps des chansons anglaises sans forcément prêter attention au sens du texte. Ça a sans doute permis de décomplexer un peu les gens”.

Hélène Daubert conclut : “Les Français ont davantage les coudées franches et sont aujourd’hui plus fiers de leur patrimoine. Ils l’assument.”

Par Lionel Lecoeur

Photo de couverture © Aigle / BETC
Photo © Intermarché

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