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Mouloudji et la musique française dans la pub

Véritable tour de force, la bande son du film Intermarché, “L’amour, l’amour, l’amour” de Mouloudji, est devenue une référence et le point de départ d’un retour en grâce de la musique française dans la pub. Comment s’est construit ce succès ? Retour sur la petite histoire de cette grande musique de pub.

“Une œuvre collective”, dit Sébastien Cayla, “un gros travail d’équipe”, ajoute Alexandre Rabia. Le premier est directeur de la synchro chez Kobalt, le second superviseur musical chez Universal. Mais tout s’est passé dans une autre vie, quand le premier était chez Warner Chappell, la maison d’édition, et le second chez The, société de production sonore. Tout, c’est “L’amour, l’amour, l’amour” de Mouloudji, la bande son du premier film de la nouvelle campagne Intermarché de 2017. Une révolution dans l’histoire de la musique de pub.

Depuis, comme ils le disent à l’unisson, la campagne fait figure de benchmark  : “Elle a eu un impact immédiat sur les autres briefs musicaux. Assez rapidement, on entendait : “on voudrait un truc dans le style Intermarché”. Ou plus récemment : “On ne veut pas un truc dans ce style-là. C’est aussi un indicateur de la réussite d’une campagne.” Une référence en somme.

Les Français parlent aux Français

Sébastien Cayla et Alexandre Rabia sont unanimes : c’est Alexandre Hervé, directeur de création pour l’agence de pub Romance, qui a eu l’idée d’un titre français vintage, “C’était le brief, c’était déjà dans leur stratégie”, affirme Sébastien Cayla. Alexandre Rabia approuve : ”Quand j’ai rencontré Alexandre Hervé pour la première fois, il a commencé par me dire ceci : “Je voudrais que tu ne me proposes que des choses en français”. Il venait de remporter le marché et il fallait marquer les esprits, avoir son propre ADN. Pour lui, c’était le bon moment pour qu’une marque française communique avec des chansons françaises.”

Alexandre Hervé acquiesce : “La musique est le troisième personnage du film et, avec Katia, nous avions l’intention de trouver un titre qui parle d’amour et qui ne soit pas trop utilisé. Il aurait été facile de prendre un morceau de soul ou du Rat Pack de Franck Sinatra ou de Dean Martin. Mais nous voulions du français.”*

Un coup de coeur

Katia, c’est Katia Lewkowicz, la réalisatrice du film. C’est elle qui a eu le coup de cœur. Elle se souvient : “Alexandre Rabia, chez The, nous a fait écouter une cinquantaine de musiques. Quand on a entendu celle-ci, que je ne connaissais pas du tout, j’ai dit : “Ah, ça, c’est ça, ça y est on a trouvé”.”*

Ce coup de cœur va modifier la nature même du film : la réalisatrice décide -chose rare- de tourner avec le morceau et de s’appuyer sur la lenteur du titre pour donner un rythme très rapide, très vivant au film. Elle décide même d’exploiter toute la chanson et d’aborder la pub comme un clip qui durera le temps que dure la chanson : 3 minutes. Une performance. “Elle est un peu tombée amoureuse du morceau”, avoue Alexandre Rabia.

Trois fois l’amour

L’autre génie de ce film, lauréat de cinq Lions, l’ultime récompense pour un publicitaire : avoir choisi une chanson où le mot “amour” est répété trois fois en introduction. “Tout le monde voulait tourner avec le morceau en fond sonore : cela donne une indication forte sur ce que tu vas filmer ou ne pas filmer.” analyse  Alexandre Rabia. “Un morceau de cette nature-là, avec le refrain sur l’amour, permet finalement de moins filmer l’amour. Il est déjà tellement présent dans le langage sonore ! On peut alors se concentrer sur des éléments visuels, sur le mieux manger…” Autrement dit sur le message que l’annonceur veut faire passer auprès du consommateur. 

Du travail de pro

Ce choix fut très valorisant pour les professionnels de la musique ayant travaillé sur le spot, à l’instar d’Alexandre Rabia : “C’est le genre de basculement qu’on apprécie beaucoup dans nos métiers. 80 % des commentaires sur la pub youtube parlent du son, sans compter l’augmentation des shazam ou des play sur les différents réseaux… Non seulement tu as proposé le bon morceau, plus ou moins valorisé financièrement à la bonne échelle, mais, en plus, ce choix offre artistiquement une vie nouvelle à un titre qui ne l’aurait pas eue sans le support publicitaire.”

Il ne faut pas avoir peur de le répéter : le choix d’une musique de pub, qu’elle soit originale ou préexistante, est un métier que les professionnels du son vivent avec passion. Sébastien Cayla, qui représentait chez Warner Chappell les intérêts d’Yves Stéphane et Jack Arel, auteur et compositeur du morceau de Mouloudji, reconnaît : “J’étais très fan de ce morceau depuis des années. Et quand il a fallu que la chanson de la pub raconte simplement une belle histoire d’amour, ça m’a semblé une évidence.”

Alexandre s’enflamme : “L’ADN du track, c’est l’orchestration, les cordes, le piano. Vient ensuite ce refrain qui se répète avec un mot universel que même les étrangers comprennent. Et puis, il y a cette voix parfaite pour la pub, celle de Mouloudji qui, un peu oubliée, peut faire figure de petite pépite. Et surtout, ça parle à toutes les générations…”

Par Lionel Lecoeur

* Les verbatim sont issus du site de l’agence Bonus Track
http://conversations.bonus-track.com/episode/musique-osez-v-f/

Photo de couverture © Agence Romance

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