Rencontre
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Morgan Kibby, compositrice : « La parole se libère mais il est temps de passer à l’action »

Fidèle compositrice d’Eva Husson, Morgan Kibby a signé la musique de chaque film de la réalisatrice, depuis ses premiers courts-métrage d’étudiante jusqu’à Mothering Sunday son troisième long, sélectionné au 74ème Festival de Cannes mais encore inédit dans les salles françaises. Une collaboration fusionnelle à travers laquelle l’artiste américaine explore les genres et peaufine son savoir-faire.

Comment en êtes-vous venue à composer pour l’image ?
J’ai fait partie du groupe français M83 pendant 7 ou 8 ans et, alors qu’on terminait notre seconde tournée mondiale, j’ai réalisé que j’allais avoir 30 ans et que je ne pouvais pas faire ça pour le reste de ma vie. C’était trop dur. J’ai fait un break pour composer pour moi mais ce n’était pas satisfaisant. Je ne trouvais pas ma voix en tant qu’artiste. Eva travaillait alors sur son premier long-métrage Bang Gang et m’a proposé d’en écrire la musique. Après cette première expérience, j’ai intégré le Sundance Composers Lab et je m’y suis sentie très à l’aise.

Comment avez-vous connu Eva ?
Dans un couloir, à Los Angeles, alors que j’avais 17 ans. À cette époque, j’étais actrice, je n’étais pas venue passer d’audition mais Eva m’a remarquée. Et, finalement, nous avons travaillé ensemble sur son premier film d’étudiante et sommes devenues très amies. Aujourd’hui, elle est comme une sœur pour moi. C’est avant tout une histoire d’amitié. On en parlait d’ailleurs ensemble récemment : il y a quelque chose de romantique quand une réalisatrice et une compositrice ont une si longue relation de travail.

Comment a évolué votre relation professionnelle ?
Chaque film est une nouvelle découverte, on en a fait trois ensemble, et aucun n’a ressemblé aux autres. Pour Bang Gang, j’avais écrit la plupart des partitions avant même que les images ne soient tournées. Les filles du Soleil a été une expérience assez mouvementée, pour elle aussi pour être honnête. Le dernier, Mothering Sunday a été un vrai challenge : nous voulions une musique intemporelle sans être inadaptée car il s’agit d’un film d’époque, ancré dans l’Angleterre des années 20.

Justement, y a-t-il des erreurs à éviter avec ce genre ?
Je crois qu’il fallait surtout faire attention au choix des instruments. Évidemment, on n’allait pas utiliser des synthétiseurs partout sur un film d’époque. On a donc choisi une palette d’instruments correspondant à la période traitée, tout en gardant en tête une certaine idée de modernité. Nous sommes arrivées à cette idée de ritournelle, à une mélodie qui revient régulièrement.

Quelles instructions vous a donné Eva pour vous lancer ?
Au début, aucune. C’est tellement facile entre nous, c’est un dialogue, la définition même d’une collaboration. Elle me donne beaucoup de liberté pour explorer. Pendant qu’elle tournait, j’écrivais mais, pour la première fois, je me suis retrouvée dans une impasse. Parce que c’est elle, je me mettais trop la pression et ça me bloquait. Il y a eu un moment très décourageant, mais Eva m’a fait confiance et, finalement, nous avons vraiment avancé quatre semaines seulement avant le mixage. Ça a été le plus gros défi de ma carrière.

Comment gérer la créativité quand il faut tenir des délais ?
Tout dépend de la personnalité de l’artiste. Même si c’était difficile sur ce film, je fonctionne bien avec une deadline : il faut que je sois sous pression pour sortir quelque chose. J’aurais du mal à l’expliquer, mais c’est comme ça que je me suis construite mentalement. Parfois, avoir trop de temps ne m’est pas avantageux. Je marche à l’instinct.

Il existe aujourd’hui des collectifs, comme Troisième Autrice, qui défendent la place des femmes dans la composition. Avez-vous l’impression que les regards évoluent ?
La parole se libère mais le temps est venu de passer à l’action. Les décideurs doivent désormais embaucher plus de femmes : c’est aussi simple que ça. Je me moque de ce que peuvent raconter les gens s’ils n’opèrent pas de changement concret. Je suis un peu agacée quand on parle de ce sujet car je vois bien qu’il y a toujours plus de bonnes résolutions que de belles actions.

Avez-vous eu du mal à trouver votre place dans le métier ?
Je suis américaine et les comportements varient d’un pays à l’autre. Personnellement, je pense qu’on doit mériter sa place et, quand j’étais plus jeune, j’avais tendance à accepter n’importe quel job, juste pour l’expérience, pour apprendre, pour souffrir aussi. Ça fait partie de la formation. À Hollywood, j’ai souvent trouvé frustrant de ne pas être engagée parce que mon CV n’était pas assez long, parce qu’on n’avait pas assez vu mon nom au générique. Sauf que, pour avoir son nom au générique, il faut nous engager ! C’est l’histoire de l’œuf et de la poule.

Ecoutez la musique de Morgan Kibby sur ce lien

Propos recueillis par Pierre Lesieur

Photo de couverture © Samantha West

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