Rencontre
de la Musique
et de l'image

HiTnRun, un trio de compositeurs possédé

Composé de Philippe Deshaies, Lionel Flairs et Benoît Rault, HiTnRun a signé la bande originale très organique, hypnotique et grinçante de la récente série Canal + Possessions avec, au casting, Nadia Tereszkiewicz, Reda Kateb et Aloïse Sauvage. Ce trio complémentaire a signé plus d’une dizaine de bandes originales pour le cinéma et la télévision : des Combattants de Thomas Cailley (9 prix dont le César de la meilleure actrice pour Adèle Haenel) à la série Les bracelets rouges en passant par Osmosis sur Netflix. Ils reviennent pour Sœurs Jumelles sur la genèse de ce dernier projet et sur leur passion pour la musique à l’image.

Comment êtes-vous arrivés sur la série Possessions ?
Philippe : Le réalisateur Thomas Vincent, avec lequel nous avions déjà collaboré sur La nouvelle vie de Paul Sneijder, nous a contactés en nous indiquant qu’il voulait quelque chose de différent, des sons plus durs, avec de la guitare. J’ai commencé à faire des recherches musicales et les lui ai envoyées alors qu’il débutait le tournage de la série en Israël. J’avais visiblement tapé dans le mille. C’était vraiment très “stoner” avec une grosse influence PJ Harvey, un peu sexe et sale.

Lionel : On s’est tout de suite projeté dans ce scénario qui se lisait comme un roman, là où bien d’autres sont assez techniques. Il y avait déjà ce pitch : une femme se marie, la lumière s’éteint. Quand elle se rallume, elle tient un couteau à la main et son mari agonise dans une flaque de sang. Les scènes se déroulant par ailleurs à la limite du désert, l’ambiance devait par ailleurs être vraiment pesante : Thomas voulait une atmosphère sonore grinçante, dissonante, tout en gardant une architecture rock, avec de la batterie, de la basse, des guitares… Nous avons immédiatement intégré au projet Jason Glasser, un ami qui, plasticien à l’origine, joue aussi du violoncelle, un instrument qu’on ne gère pas. On l’a fait réinterpréter des choses qu’on avait écrites et nous nous les sommes ensuite réappropriées avec des effets, des amplis, des machines… Du piano aussi. Au final, tout ça restait assez organique. Nous leur avons envoyé beaucoup de musiques pour les aider sur le début du montage avant de tricoter tout ça en fonction des scènes.

Est-ce plus facile de composer avec un scénario en amont, sans les images ?
Philippe : Si c’est bien écrit et qu’il y a une direction musicale claire, oui !  En l’occurrence, ça l’était. Sur certains films, la musique arrive vraiment à la fin. Ce fut le cas avec Les Combattants : le tournage avait commencé et nous avions deux mois pour composer afin de le présenter à Cannes. Une course effrénée ! Lionel : Sur Possessions, nous avons eu plus de temps, de mars 2019 à février 2020. C’était nécessaire :  il y a beaucoup de musique ! Et il faut savoir accorder ses violons avec le réalisateur qui vous dit souvent “je ne suis pas musicien mais…”. Tout comme le scénariste. La première rencontre permet notamment de poser les mots. Thomas Vincent a ses références et adore la musique ! Il y a aussi la réalité de la production et du showrunner Shahar Magen avec qui il a fallu composer. Au départ, il avait une vision très différente de la nôtre. Mais notre métier, c’est aussi l’art du compromis. Nous étions au milieu du réalisateur et du showrunner. Jusqu’à présent, lorsqu’on arrivait sur un projet, le réalisateur était le boss. Sur les séries, c’est vraiment différent : le showrunner a une idée et choisit un réalisateur pour la concrétiser.

“Une série, c’est un marathon”

Vous vous nourrissez les uns les autres ?
Lionel : Absolument. Nous, nous sommes au service du projet, nous répondons à une demande ! Mais nous essayons de les amener vers d’autres horizons, nous apportons une autre lecture de l’œuvre cinématographique.

Philippe : On apprend à regarder les choses de façon moins littérale que prévu. Lorsque la scène est triste, la musique ne doit pas nécessairement l’être. On se laisse la liberté de partir vers d’autres directions, de susciter d’autres émotions…

Y a-t-il beaucoup de musique originale sur Possessions ?
Philippe : Beaucoup et très peu de synchro ! Juste quelques titres de mariage. C’est assez drôle d’ailleurs. Sur un épisode qui dure en moyenne 50 minutes,  il y a environ 25 minutes de musique. C’est plus que dans un film. La musique joue un vrai rôle et évolue en fonction de l’intrigue.

Lionel : Mais beaucoup de thèmes sont réutilisés. A chaque fois on ajoutait, on enlevait, on tricotait sur les images. Chacun avait ses scènes.

Votre musique est-elle utilisée sur le générique  ?
Philippe : Oui ! C’est un morceau que nous avons travaillé à trois. J’ai commencé, Lionel a remanié et Benoit a terminé. Ca a été une petite bataille car le générique est dur, et la musique aussi ! La production a mis beaucoup de temps à l’accepter. Mais nous étions convaincus qu’il s’agissait du bon morceau.

Est-ce différent de composer pour un long et pour une série ?
Lionel : Une série, c’est un marathon. Nous avons eu du temps mais il y avait des délais à respecter et beaucoup de musique à produire. Le calendrier était finalement très serré ! Le budget aussi. Il n’y pas beaucoup de temps pour monter et, du coup, pour fabriquer tout ça.

Philippe : Un film dure 1h30, une série, c’est 6/10 épisodes de 50 minutes… Ce qui, selon moi, implique une vraie différence: l’intrigue va extrêmement vite sur un long et nous devons nous adapter à ce tempo.

Lionel : On nous met surtout la pression sur le premier et deuxième épisode dans la série !

Philippe : J’ai remarqué quelque chose en découvrant Twin Peaks de David Lynch. Sur les quatre premiers épisodes, la musique d’Angelo Badalamenti est dingue. Puis, au milieu, il y a quelque chose de plus mou. Et, à la fin, ça redémarre ! Quand tu regardes bien, aujourd’hui, toutes les séries sont comme ça !

Comment est-ce de travailler pour Netflix ?
Lionel : C’est intéressant mais leurs conditions à l’époque d’Osmosis étaient assez drastiques. Avec ce modèle “buy out” très différent de ce qui se pratique en France, où nous défendons le droit d’auteur. Je pense cependant que les lignes ont dû bouger et que les contrats sont plus hybrides désormais. Sur  Osmosis, il y a deux ans, ils ne voulaient pas qu’on mette notre musique en ligne par exemple. Les Américains préfèrent bien payer et ne pas avoir de problèmes derrière. Il y a une grosse pression de flux, ils mettent leur nez dans le scénario, ils ont des algorithmes en terme de cible à toucher…

Vous travaillez aussi pour la pub ?
Philippe : Oui et j’adore l’exercice car c’est très court ! Tu dois te connecter à la réalité musicale actuelle. Voir dans quel monde musical tu vis… Ça oblige à être ouvert d’esprit. Mais c’est un discours différent : tu dois faire un tube en 30 secondes. Et, dans la pub, la musique va souvent dans le sens de l’image : si l’histoire est  triste, la musique le sera.

Petit flashback : comment s’est passée votre rencontre ?
Lionel : J’ai fait de la musique à l’image accidentellement, la bande originale des Beaux gosses notamment. On a monté un groupe avec mon frère Benoit, Philippe nous a rejoint, et nous formons HiTnRun depuis 2012.

Philippe : Nous avions des goûts communs, Beck, Pavement, Prince par exemple, et avons rapidement  décroché la musique de l’habillage de France 5. C’était parti.

Ophélie Surelle 

Photo de couverture © Elene Usdin

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