Il y a quarante-cinq ans disparaissait François de Roubaix, dont les œuvres expérimentales et ludiques ont laissé leur empreinte sur tout un pan de la musique de film des années 70. Et continuent de hanter la pop du présent.
Il a accompli ce dont rêvent la plupart des musiciens : faire résonner des mélodies, à travers les âges, dans l’inconscient collectif. Ces arpèges de cordes qui rythmaient “Supreme”, le tube de Robbie Williams en 2000 ? Un extrait de la B.O. composée par François de Roubaix pour Dernier Domicile Connu, de José Giovanni, trente ans plus tôt. Cet air synthétique agrémenté de bruits de crécelle, qui servit de générique à l’émission pour enfants Fréquence Mômes, dans les années 90 sur France Inter ? Un extrait La Scoumoune, du même Giovanni, sorti en 1972. La ritournelle chantée par les personnages de Chapi Chapo, en 1974 ? Une merveille signée François de Roubaix, qui lui prêtait aussi sa propre voix accélérée. Les rires d’enfants que l’on y entend sont ceux de sa fille, Patricia, 9 ans. Un an plus tard, le 21 novembre 1975, le musicien trouvait la mort dans un accident de plongée à Tenerife. Il avait 36 ans et son fils, Benjamin, six mois. S’il n’a pas véritablement connu celui qu’il appelle “François”, il est devenu musicien lui aussi, tromboniste et compositeur de jazz. Il rappelle ceci : son père était autodidacte. “Avec une approche très “jazz” de la musique. Pour lui, il était important qu’il y ait une mélodie, des accords, qu’il arrangeait ensuite avec les instruments et les musiciens qu’il avait sous la main, selon le style de l’époque. Dans les années 60, c’était le jerk et le rock n’roll, dans les années 70, le disco.”
Pionnier et autodidacte
C’est seul que François de Roubaix, adolescent, apprend la guitare, le piano, le trombone. Et c’est en accompagnant son père, le producteur Pierre de Roubaix, sur des tournages, qu’il se familiarise avec le cinéma. Son style iconoclaste, dont les arrangements évoquent à eux seuls le drame, la tendresse, l’aventure ou la farce, accompagnera les films emblématiques des années 70, du Samouraï de Jean-Pierre Melville(1970), avec Alain Delon, à La Scoumoune avec Jean-Pierre Belmondo. Mais aussi la publicité, la télévision, via le générique du Commissaire Moulin ou l’indicatif de la chaîne africaine Télé Zaïre. François de Roubaix était un pionnier : il est l’un des premiers musiciens à travailler dans un home-studio, rue de Courcelles, à Paris. Compositeur expérimental et décomplexé, il défriche la musique électronique : le commandant Cousteau lui refuse même une bande-originale de documentaire, L’Antarctique, en 1974, jugée trop avant-gardiste. Celle-ci est disponible sur la compilation Le Monde électronique de François de Roubaix, dont les deux volumes, intégrés dans la collection “Ecoutez le cinéma” conçue par Stéphane Lerouge, sont sortis2004 et 2006 chez Universal : “Il y avait quelque chose, dans sa façon de composer, qui était très proche de la pop, analyse Benjamin de Roubaix. Pour lui, la musique contemporaine, ce n’était pas Boulez ou Xenakis, qui faisaient de la musique savante. C’était les Pink Floyd ou Les Beatles.”
Une référence indémodable
Cette approche pop, ce sens du gimmick, qui est à la musique ce que la punchline est à un dialogue de cinéma, est peut-être ce qui fait voyager sa musique à travers le temps. Aujourd’hui, François de Roubaix continue à vivre à travers de nombreux samples, dans le monde entier. Sur le site de référence whosampled.com, qui répertorie ces utilisations d’échantillons musicaux, on trouve plus d’une trentaine d’occurrences du fameux extrait de cordes de Dernier Domicile Connu. Chez Kendrick Lamar, Kid ou Lana Del Rey. On l’entendait aussi en 2017 sur le spot de campagne de Benoît Hamon, alors candidat à l’élection présidentielle ou sur un film publicitaire annonçant des programmes à venir sur Canal +. “C’est toujours une joie de voir la musique de François de Roubaix synchronisée”, déclare Benjamin qui, en compagnie de sa sœur, s’occupe de la gestion du catalogue de son père, via le label Pucci Records. Des droits qu’il faut parfois aller réclamer, comme lorsque le rappeur Lil Wayne utilisait pour son titre President Carter (2011) un extrait de la musique des Lèvres Rouges d’Harry Kümel (1971). Une bande-originale dont Benjamin de Roubaix supervisait justement la réédition en 2018, en collaboration avec le label belge CTM, avec lequel il travaille actuellement à une compilation de musiques composée pour la télévision et la publicité.
Au-delà des samples, l’œuvre de François de Roubaix continue d’inspirer d’autres musiciens. Dans un documentaire réalisé par Christophe Conte et Gaëtan Chataignier, François de Roubaix : un portrait au présent (2014), des artistes comme Sébastien Tellier ou Nicolas Godin (Air), témoignaient de leur admiration pour le compositeur. Si Benjamin à lui-même repris façon free jazz certains de ses morceaux sur son album L’homme des sables en 2012, d’autres artistes lui ont rendu hommage. A l’image de Vincent Delerm avec le titre “Et François de Roubaix dans le dos”, en 2008. Ou du compositeur Fred Pallem qui, avec sa formation Le Sacre du Tympan, lui a consacré en 2015 un disque de reprises (dont un incontournable “Chapi Chapo”, interprété par Philippe Katerine). Plus récemment, La Pantoufle, second album du français Forever Pavot, a beaucoup été comparé aux créations de François De Roubaix, pour ce côté bricoleur et ludique : “Quand je l’ai découvert, j’ai trouvé ça incroyable, se souvient Benjamin de Roubaix. Il est comme un petit François, avec sa propre patte et beaucoup d’humour. Le patron de son label, Born Bad, m’a d’ailleurs contacté pour sortir certains morceaux de François, mais cela n’a pas encore abouti pour une question de droits.” Nouvelle biographie, album de reprises, éditions de vinyles et de partitions… Selon Benjamin de Roubaix (photo ci-dessous), c’est le temps qui manque, davantage que les projets. Un temps que la musique de son père, elle, a déjà traversé.
Par Pascaline Potdevin
Photo de couverture :
© Collection De Roubaix