Après La tête haute, il a récemment retrouvé Emmanuelle Bercot pour De son Vivant, et, depuis 25 ans, promène ses notes de piano dans des univers très variés. Collaborateur de François Ozon (Sitcom, Regarde la mer), Patrice Chéreau (Ceux qui m’aiment prendront le train, Intimité..), Pascale Pouzadoux (Toutes les filles sont folles, La croisière…), Nicole Garcia (Un beau dimanche) ou Nicolas Vanier (Poly), Eric Neveux revient sur son parcours et sa vision du métier de compositeur pour Sœurs Jumelles.
Comment avez-vous commencé à composer pour l’image ?
J’ai toujours voulu faire ça. Je n’ai pas d’autres souvenirs, je n’ai jamais voulu être pompier ou Président de la République. J’ai toujours voulu faire de la musique et de la musique pour les films. Il y avait une sorte d’obsession quand j’étais enfant sur l’envers du décor, sur le “comment ça marche”, comment on fabrique les choses, et du coup, la musique de film, c’était naturellement quelque chose qui m’attirait. J’étais très frappé intuitivement, comme un gamin, par l’impact de la musique, et le dialogue avec les images. Par la puissance musicale avec les images.
Comment cette envie s’est-elle concrétisée ?
J’étais vraiment très monomaniaque : il n’y avait que ça qui m’intéressait. Je n’ai pas fait d’études musicales paradoxalement. Ça reste un des grands mystères de mon existence. Là où j’ai énormément progressé techniquement, sans m’en rendre compte, c’est quand j’étais chanteur : on était obligé de déchiffrer. J’étais soliste, je devais chanter à l’opéra. Je me suis mis à avoir un niveau de solfège alors qu’au départ, c’était pour moi une chose rébarbative. J’ai compris que c’était une clef de langage et je me suis mis à adorer. Je faisais beaucoup de piano mais j’étais mauvais en classique, et je le suis toujours. Je suis un piètre interprète. En revanche, c’était mon instrument d’expression et de composition.
J’étais un peu le musicien de service et, à un moment, j’avais tellement d’antennes, c’était une telle obsession, que je suis tombé sur des réalisateurs qui faisaient des courts-métrages. De fil en aiguille, je suis tombé sur un jeune producteur qui produisait un jeune réalisateur de la Femis qui s’appelait François Ozon. Je guettais, je surveillais, j’étais partout. J’ai fait des courts-métrages, plein de trucs qui me menaient un peu nulle part mais malgré tout, ça créait une sorte de trajet. Et puis, j’ai eu la grande chance de rencontrer Patrice Chéreau assez jeune, vers 22/ 23 ans. Une rencontre qui a changé ma vie puisqu’on s’est très très bien entendu. Je travaillais aussi sur des musiques de théâtre, donc j’étais dans un milieu qui était proche de lui, des gens qui travaillaient avec lui, et il m’a confié de très belles choses, très jeune. C’est quelqu’un qui m’a vraiment permis de prendre mon envol très tôt.
Peut-on être un piètre interprète, comme vous le dites, et un bon compositeur ?
Ce sont vraiment deux qualités différentes. C’est Chéreau qui m’avait appris ça : j’avais fait des guitares sur un film que je jouais très bizarrement et je m’étais dit : “Bon, il faut que je les fasse rejouer, ce n’est pas possible.” C’était pour Persécution. J’avais fait des guitares, comme ça, de façon un peu fragile, et j’avais commencé à les faire rejouer, et puis, je me suis dit : “Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Fais-toi confiance.” C’était vraiment une réflexion artistique assez fondamentale qui dépassait le cadre de ce petit problème de guitare. Notre spécificité, notre créativité, il faut les protéger. Avec des défauts apparents, on crée des choses qui peuvent être fortes. Donc, quand je dis que je suis un piètre interprète, c’est un petit peu un effet de style, mais quand même… Je me souviens que, sur un film, je me suis dit : “Tiens, je vais leur rejouer bien, en studio…” Et je n’y arrivais pas. Ça a été une grosse leçon d’humilité. Je me suis dit : “N’oublie jamais que, de l’autre côté de la vitre, avec la lumière rouge, ce n’est pas la même.”
Pensez-vous pouvoir vous adapter aux univers de tous les réalisateurs ?
Oui, je pense que tout ce qui compte, c’est d’aimer les films que l’on fait. Et moi, j’ai eu la chance d’avoir jusqu’à présent une carrière assez éclectique. J’ai travaillé sur des films d’auteurs vraiment pointus, sur des comédies parfois très populaires… Pour moi, un film est un terrain de jeu. Avec un côté vraiment infantile. Ce n’est pas très original mais un de mes compositeurs préférés, c’est Ennio Morricone qui faisait parfois des musiques incroyables sur des films irregardables. Pour lui, c’était toujours une stimulation de la créativité et je me suis beaucoup accroché à ça. Il n’avait pas besoin de faire tous ces films mais il avait cette envie de composer, tout le temps. C’est une énergie vitale, elle ne vous quitte pas. Ou, si elle vous quitte, c’est qu’il y a un truc qu’il faut aller réparer.
Images: Peggy Bergère
Montage : Anna Fonso
Interview : Marilyne Letertre
Photo de couverture © Steeven Pettiteville
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