Rencontre
de la Musique
et de l'image

Delphine Mantoulet et Tony Gatlif : les notes et la plume

Exils, Transylvania, Liberté, Geronimo, Indignados, Tom Médina… Tony Gatlif et Delphine Mantoulet travaillent de concert depuis plus de 17 ans : ils composent à quatre mains les musiques des films du réalisateur.  Alors que le dernier né de leur collaboration sort en salles (Tom Médina, le 4 août), ce duo inséparable évoque sa méthode, ses souvenirs et sa vision de la musique et de l’image.

Racontez-nous les débuts de votre duo. 
Delphine Mantoulet : Nous nous sommes rencontrés sur le film Exils en 2004. J’avais travaillé à Londres avant et j’avais pas mal d’influences anglo-saxonnes, un peu de fusion, de musique indienne en particulier. L’idée de mélanger ça avec ses compositions a plu à Tony.

Tony Gatlif : Ma musique de film, c’était de la musique manouche, de la musique tzigane, du flamenco depuis Les Princes. Je trouvais qu’il fallait rajeunir un peu  tout ça. Ce que Delphine a apporté, c’est la modernité. Je pense que nous faisons une musique très personnelle. La façon dont on travaille n’existe pas ailleurs. Je ne pense pas qu’il y ait un cinéaste gitan qui ait associé la musique rock que Delphine aime, ou la musique des jeunes de maintenant à notre musique traditionnelle.

Comment travaillez-vous ensemble ?
D. M. : Tony a une façon très visionnaire de travailler. Il n’y a pas de linéarité. Il a une vision globale de la musique qu’il n’hésite pas à tordre. On se laisse porter par cette vision, complètement intégrée à la narration. Tony sait exactement l’image mais il sait aussi le son et l’intensité ou la couleur du son vers laquelle il veut aller. Au départ, lui seul la voit et ensuite, on l’élabore ensemble. L’écriture musicale se fait vraiment avec la narration du film, au fur et à mesure. Elle se transforme et généralement, on l’enregistre avant le tournage, on l’utilise pendant le tournage, et on la remonte et on la refait après le tournage pour qu’elle soit complètement synchronisée avec les images. 

Pouvez-vous revenir sur la création de la musique de Geronimo ?
T. G. : Je lui avais dit, après avoir écrit le scénario, que ce serait bien qu’on fasse une musique où on tape sur tout ce qui existe.

D. M. : On est allé taper sur du fer, sur des portes en fer, on est allé à la cave. On a enregistré tous les sons qu’on voulait pour faire les maquettes, pour avoir cet aspect un peu rugueux, avec une tonalité de la rue. Pendant le tournage, les principaux percussionnistes avaient tous une oreillette pour faire exactement le geste synchronisé avec la maquette. La maquette allait bouger mais pas le tempo. Du coup, il était très important que les acteurs jouent et tapent en accord avec la mise en scène que Tony avait envisagée.

T. G. : Cette musique de bruit et de fureur était adaptée pour des jeunes en train de se faire la guerre. Mais j’ai dit à Delphine : « Ce serait bien maintenant qu’on a le son, de mettre Nabucco de Verdi ».

D. M. : On a élaboré toute une base hip hop par dessus laquelle on a mis des samples, etc. On a fait tout un mélange qui correspondait à la Battle du film. Le fait d’avoir mis cette musique sur le tournage a vraiment créé une impression incroyable sur les gens qui ne savaient pas ce qu’ils allaient entendre, ce qu’ils devaient faire exactement. Tony les dirigeait à la main : la battle était extraordinaire.

Quid de la musique de Tom Medina ?
T. G. : Nous étions dans l’arène d’Arles et je disais à Delphine : « On va jouer l’entrée, la musique de l’arène. » C’est un paso doble comme au Moyen-Âge, typique de la tauromachie, que j’ai voulu bousculer avec du métal. On a rencontré une jeune fille de 23 ans extraordinaire qui fait du métal génial et qui joue plein d’instruments. Quand elle joue, c’est une fauve. J’ai dit à Delphine : « Voilà, on va faire ça et essayer de voir comment faire pour que cette musique devienne un paso doble. »

D. M. : Et ça commence donc avec de la guitare électrique, assez loud !

Pourquoi vos univers se sont-ils aussi bien complétés ?
D. M. : C’est un chemin, c’est un voyage, c’est une écoute. Moi, j’ai toujours adoré les sons qui m’étaient étrangers. Je viens du classique, après je suis passée par l’électronique, j’adorais le rock… Avec Tony, j’ai découvert une autre façon de penser, un autre style de son, et surtout le fait de ne pas avoir peur du tout de la musique. La musique, ça doit être une expression, et pas une représentation.

T. G. : J’ai toujours dit à Delphine : « Il ne faut pas avoir peur de la musique ». L’art ne doit pas faire peur et la musique fait peur à plein de gens parce que, quand tu commences enfant, tout fait peur : le solfège, le piano, les guitares … Ça traumatise le musicien, même s’il devient virtuose après. Les tsiganes, eux, n’ont pas peur de la musique parce qu’ils ont une guitare dans les mains à deux ou trois ans. Des fois, ils font des fausses notes, des fois, les cordes des guitares cassent mais ils continuent à jouer. Pour eux, la musique, c’est une folie. La musique qu’on fait avec Delphine est aussi une folie. Ce n’est pas de la musique sage, à écouter dans un canapé.

D. M. : C’est vrai qu’il y a un rapport à la transe hyper important. Il y a vraiment un lâcher-prise sur la joie et l’essence de la musique, en dehors de toute forme d’écriture ou en dehors de toute forme de cadre.

Images : Peggy Bergère
Interview : Marilyne Letertre

Crédit Images Geronimo et Tom Médina : Les Films du Losange
Crédit Images Exils : Pyramide distribution

Photo de couverture © Marie Astrid Jamois

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