Delphine Ciampi est née d’une mère japonaise, l’actrice Keiko Kishi, et d’un père franco-italien, le cinéaste Yves Ciampi. Compositrice, guitariste et bassiste, elle mène une carrière entre la France, les Etats-Unis et le Japon au sein de divers groupes de rock et au fil des projets musicaux. En 2004, elle signe sa première musique de film, pour le court-métrage de Sandrine Dumas Le garde du corps, et continue aujourd’hui à composer pour l’image en parallèle de ses autres activités (théâtre, poésie et concerts).
Pourquoi avez-vous décidé de devenir compositrice ?
J’ai été sollicitée par une amie, Sandrine Dumas, qui réalisait à l’époque son premier court-métrage. Elle aimait beaucoup mon univers musical et mon travail en tant que guitariste et m’a confié la musique de son film. J’ai été conquise très vite par ce nouvel angle de la composition musicale. Je continue à faire de la musique à l’image car elle m’apporte beaucoup, en raison des contraintes et de l’exigence requise, très différentes de ce dont j’ai l’habitude.
Comment définiriez-vous la collaboration idéale avec un(e) créateur(trice) ?
Je doute qu’il y ait un idéal dans ce genre de relations où tout change sans arrêt et où il n’y a jamais assez de temps… Néanmoins, un pacte de confiance est vital et travailler avec un(e) cinéaste que je connais bien offre un genre « d’idéal » : beaucoup d’explications, donc de matière à quiproquo, sont alors superflues. On va à l’essentiel, on se comprend, et si on n’est pas d’accord, on sait généralement pourquoi et le travail avance de façon productive. Sinon, pour des «premières collaborations», l’idéal serait d’être prévenue en amont et de participer à mesure que le scénario se construit : on comprendrait alors mieux le réalisateur et son cheminement. La communication est la clé d’une bonne collaboration.
Préférez-vous intervenir sur le scénario ou les images ?
Je lis tout d’abord le scénario. Il faut que cela m’évoque quelque chose : une couleur, une sonorité. Par exemple, que je me dise, “j’entends de l’électronique” ou “j’entends de l’organique” (guitare acoustique, percussions en bois etc..). Je pourrai alors me concentrer sur les images et trouver ce qui conviendra au réalisateur ou à la réalisatrice, au monteur ou à la monteuse. Par exemple, pour le documentaire Nostos, entre la Grèce, l’Egypte et la France, il m’est tout de suite venu à l’esprit de l’organique, des sons de guitare chauds et des cordes, du violon qui se promène comme un fil tout au long de la recherche narrative.
Pouvez-vous nous parler d’une collaboration marquante dans votre parcours.
Je pense immédiatement à mon amie Sandrine Dumas, l’actrice-réalisatrice qui m’a demandé de composer toutes les musiques de ses films. Ensemble, nous avons fait un travail passionnant de recherche et d’approfondissement des effets de l’écriture musicale sur un récit. Pour elle, je compose des musiques qui accompagnent totalement la narration. Tout le contraire d’une musique qui remplit l’espace. C’est une expérience très riche et satisfaisante que d’avoir le sentiment que chaque note est à sa place.
Comment définiriez-vous votre univers musical ?
C’est difficile à dire mais assurément organique et intuitif. Je suis autodidacte; je n’ai pas suivi de cours ni de formation de musique de film; je viens du rock et de la scène live et j’aime la musique qui a ses couleurs et qui s’est frayée son chemin, presque toute seule. Mon univers musical m’évoque peut-être une forêt.
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui veut se lancer dans la composition de musique de films ?
Il faut selon moi savoir pourquoi on veut faire cette musique à ce moment-là, ne pas chercher à appliquer de recettes, chercher le sens de nos notes et les rythmes au sein de l’image, chercher à valoriser la narration tout en se faisant oublier au maximum.
“Faire la chasse aux discriminations et se donner les moyens et outils pédagogiques pour inciter les jeunes filles à prendre confiance pour se lancer librement.”
A votre avis, les femmes compositrices sont-elles suffisamment valorisées aujourd’hui ?
Je ne pense pas, surtout en ce qui concerne les orchestrations. C’est un milieu fermé et très patriarcal, et donc vraiment difficile d’accès pour les femmes, même si les choses sont en train de changer. Je ne sais pas s’il faut « valoriser » les femmes. Il faudrait juste que ce soit normal aux yeux et oreilles de tous que la musique soit juste bonne et que l’on ait autant de chances de décrocher un contrat que l’on soit femme ou homme. Ca arrivera mais dans combien de temps ?
Avez-vous rencontré des obstacles dans votre carrière parce que vous êtes une femme ?
Venant du milieu rock et alternatif, j’ai « grandi » dans la misogynie basique et entendue, et j’ai vite appris à me barricader dans mes guitares, mon style et mes sons. Je jouais des sons très travaillés, forts et très saturés, avec des guitares magnifiques sur lesquelles il n’y avait rien à redire. J’ai navigué comme ça jusqu’à aujourd’hui, mais il est vrai que j’ai fini par préférer les projets exclusivement féminins qui apportent plus de compréhension, de fluidité, et sont de fait plus satisfaisants et productifs. Pour les musiques de films, les budgets alloués ont toujours été faibles mais je ne pense pas que cela soit dû au fait que je sois une femme.
A contrario, quels ont été vos soutiens, vos forces ?
Les forces et soutiens m’apparaissent de façon évidente aujourd’hui. Nous vivons une époque de grande sororité et de communication : les femmes se regroupent en grande intelligence et se soutiennent, parlent et partagent. Les liens créés avec les amies et collègues musiciennes ou artistes sont forts et c’est je crois, ce qui m’aide le plus : assumer que l’on ait de grandes discussions sur l’avenir, essayer de changer les choses, la societé, les mentalités ou les lois, ouvrir sur un avenir meilleur pour les générations de femmes compositrices et artistes à venir … C’est ça la force des femmes pour moi : leur ancrage dans la vie et cette conscience du fait qu’aujourd’hui, nous ne sommes plus seules.
Comment redonner leur juste place aux compositrices ?
Il y aurait tellement à faire : les rendre visibles à travers des documentaires, des expos et toutes sortes de vecteurs pour, entre autres, offrir des modèles aux jeunes générations. Mais aussi donner confiance aux femmes, leur prouver leur légitimité dans cette branche comme dans les autres, imposer des quotas, donner des points aux productions qui engageront des femmes compositrices, s’assurer que dans l’apprentissage, dès l’école et plus tard au conservatoire, les filles soient traitées de la même façon que les garçons, faire la chasse aux discriminations et se donner les moyens et outils pédagogiques pour inciter les jeunes filles à prendre confiance pour se lancer librement.
Pourquoi avoir adhéré au collectif “Troisième Autrice” ?
J’ai rencontré l’une de ses membres lors d’un festival de film en Allemagne et nous avons sympathisé. C’est tombé sous le sens d’adhérer à un collectif féminin. C’était une évidence: nous avons beaucoup en commun et beaucoup à partager.
Quelques liens pour écouter le travail de Delphine Ciampi :
Musiques
Projets
Photo de couverture : © Léa Goujon