L’auteure, compositrice et interprète ajoute une nouvelle corde à son arc en réalisant son premier long-métrage, Rose, sorti le 8 décembre. Elle y brosse le portrait d’une femme de 78 ans qui, après la mort de son époux, bouscule tout l’échiquier familial en renouant avec sa féminité et en décidant d’assumer ses envies. Musicienne avant tout, Aurélie Saada a naturellement composé la partition qui accompagne l’histoire de cette renaissance portée par la formidable Françoise Fabian. Une B.O. également disponible en vinyle et sur les plateformes numériques.
Avez-vous décidé d’écrire la musique de votre film dès le début du projet ?
Quand j’ai commencé à écrire le film, on me disait : “Tu vas faire la musique de ton film ?”. Et je disais : “Je ne crois pas, non.” En fait, c’était certainement l’endroit le plus intime pour moi. Je chante en arabe, en hébreu, en italien, en yiddish dans le film. Cette musique orientale, c’est la musique de mes parents, de mes grands-parents tunisiens. C’était fou d’aller creuser dans mes racines. C’était une vraie petite révolution pour moi. C’est pour ça, je pense, que j’ai dit : “Non, non, je ne ferai pas la musique, je n’aurai pas le temps”. Mais, finalement, je n’ai absolument pas pu déléguer, comme je n’ai absolument rien pu déléguer. C’est un film tellement intime que ça aurait été extrêmement bizarre de confier la musique à quelqu’un d’autre. D’autant plus parce que je compose. J’aime bien glisser un peu de mon sang et de mon histoire dans tout ce que je fais.
Vous avez tout composé en amont ?
Il y a des choses que j’ai composées avant, pour que les scènes sur lesquelles ils dansent dans le film soient sur la bonne musique : je trouve ça toujours assez moche au cinéma quand on ajoute la musique a posteriori. Ça se voit et je ne voulais absolument pas de ça. J’avais écouté un podcast sur Sergio Leone et j’ai appris qu’il demandait à ce qu’il y ait la musique de ses personnages avant. Il leur faisait écouter la musique sur le plateau. Je trouve ça assez chouette parce que ça donne vraiment l’atmosphère… Dans la même démarche, j’ai cuisiné des makrouts pour l’équipe le premier jour de tournage. Je voulais leur rapporter celles que j’avais faites moi, pour qu’elle sente et goûte ce parfum-là. La musique, c’était un peu la même chose : j’avais envie que l’équipe entende et goûte aux saveurs familières.
Comment avez-vous su où placer la musique ?
Je n’aime pas quand la musique camoufle, appuie ou accentue. J’aime mes acteurs, j’aime les respirations, j’aime les silences, j’aime la musique de la clef dans une serrure, des pas dans une cuisine, sur un carrelage. Quand il y a de la musique dans mon film, il y a vraiment de la musique dans le film. Ce n’est pas une comédie musicale mais la musique est très présente. La musique ne vient pas soutenir… Je pense que je n’ai pas du tout une façon classique de composer de la musique de film où les choses sont généralement assez discrètes, délicates et appuient des émotions. Moi, je ne voulais pas de musique pour appuyer une émotion. J’ai beaucoup travaillé avec mes acteurs, je trouve qu’ils sont formidables, et je n’avais pas du tout envie de venir tartiner des notes là-dessus.
Il est aussi plus rare d’écrire des chansons ?
C’est vrai que ça se fait moins mais je pense que c’est ce qui m’est très familier. C’est ce qui vient le plus naturellement. J’avais même envie de glisser des nappes de voix. Des “houuu… haaa” qui se promènent comme ça : j’adore la voix comme instrument.
Comment raconteriez-vous la musique de Rose ?
C’est une musique qui se promène dans l’intimité, la sensualité, la joie, la fleur d’oranger, dans des parfums tunisiens lointains. J’ai travaillé avec un super musicien multi-instrumentiste, Toma Feterman. On s’est beaucoup amusé et ça m’a permis de me reconnecter à mes origines, d’aller dans cette musique que l’on écoute chez moi depuis que je suis petite, la musique du climax de toutes les fêtes de famille : la musique arabe, la musique orientale. C’est la musique qui coule dans mes veines. Je ne pensais pas, je ne savais pas, que j’aurais autant de facilité, de joie, et de naturel à faire ça. Ça a été totalement évident pour moi.
Images : Peggy Bergère
Interview : Marilyne Letertre
Montage : Anna Fonso
Photo de couverture @ Pierre Terdjman
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