Fin 2020, l’actrice, réalisatrice et chanteuse a accompli un rêve grâce à France Musique : écrire et mettre en scène une comédie musicale. Conçu en tandem avec le compositeur Alexis Pivot, ce spectacle de quinze minutes baptisé “On va se quitter pour aujourd’hui” est disponible sur la chaîne Youtube de France Musique. Agnès Jaoui revient sur cette jolie parenthèse au carrefour de ses deux passions.
Cette comédie musicale était-elle votre première expérience du genre ?
Absolument mais l’envie existait depuis longtemps, que ce soit pour la scène ou le grand écran. Il y avait cependant pas mal de freins, d’abord ma peur face à l’ampleur et la complexité de la tâche mais aussi la frilosité du public français pour le genre. La proposition de France Musique me semblait être une belle entrée en matière. Sur quinze minutes, je prends peu de risques… et je n’en fais pas courir à des financiers non plus !
Le plaisir a-t-il été à la hauteur de vos espérances ?
J’ai trouvé l’expérience aussi joyeuse, émouvante et jubilatoire que je l’imaginais. Notamment parce que j’ai pu la partager avec le bon partenaire, le compositeur Alexis Pivot. Nous avons des références communes, Michel Legrand et Stephen Sondheim par exemple, et c’est aussi un ami. Et un grand jazzman ! Il maîtrise parfaitement les codes et le langage du jazz mais n’a pas peur des mélodies ou d’un certain romantisme. Cela étant dit, j’essaie de théoriser quelque chose qui me semble tout à fait instinctif chez lui…
Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Je lui ai raconté l’histoire que j’avais imaginée : je suis partie du principe qu’on ne sait pas ce qui se passe dans la tête des autres. Ce que l’on suppose, ce que l’on projette, crée souvent des malentendus : on peut par exemple confondre timidité et froideur. Ce sujet m’a toujours fascinée. J’ai ensuite tricoté une histoire d’amour autour de cette idée et j’ai dit à Alexis où j’imaginais placer les chansons. Il a rapidement proposé des musiques et nous avons écrit les paroles ensemble.
Agnès Jaoui et l’équipe d’ “On va se quitter pour aujourd’hui” / © Laurent Valière
Qu’y a-t-il de spécifique à l’écriture de chansons ?
Les conventions de la comédie musicale sont finalement assez étranges : dans la vie, personne ne s’arrête pour se mettre à chanter. Mais il faut pleinement embrasser cette singularité, l’assumer. La chanson permet des apartés, des monologues intérieurs, mais j’ai la sensation qu’il faut aussi une simplicité du texte, une forme d’épure, pour que le message parvienne. Il me semble même qu’il y a sans cesse des allers-retours entre une certaine poésie et une forme plus triviale, plus quotidienne. Mais j’ai très peu d’expérience en la matière. Je n’ai écrit que quelques chansons dans ma vie, pour mes albums et cette invitation.
D’où vient votre amour de la comédie musicale ?
J’ai toujours été très fan du genre, des comédies avec Marilyn Monroe à Un Américain à Paris en passant par Gigi. J’ai vu les classiques relativement petite et le genre n’a cessé de m’enthousiasmer. Quand on voit Chantons sous la pluie, c’est quand même très difficile de ne pas se mettre soi-même à fredonner en esquissant un petit pas de danse. La comédie musicale, c’est avant tout une joie contagieuse.
De façon plus générale, comment abordez-vous la musique dans vos réalisations ?
J’y accorde un soin très particulier, comme au son d’ailleurs. Pour moi, la bande son est capitale : elle peut changer un film en chef d’œuvre ou, au contraire, en objet totalement indigeste. La musique a par ailleurs ce pouvoir subliminal qu’il ne faut absolument pas négliger. C’est souvent avec du recul qu’on réalise son impact. Beaucoup de grands réalisateurs, Chaplin par exemple, ont un rapport très précis à la musique : chez eux, elle fait intégralement partie de l’œuvre mais déploie aussi son aura au-delà des salles de cinéma. Pour moi, la musique n’est pas qu’un accompagnement. Elle est au centre et ne doit en aucun cas surligner ou pallier les manques du scénario. Il m’est même arrivé d’écrire une scène pour intégrer une chanson ou une musique que j’aimais vraiment. C’est exactement ce qui s’est passé pour “Les feuilles mortes” dans Place publique ou Schubert dans Le goût des autres.
Votre travail sur On connaît la chanson a-t-il accentué votre goût pour la musique à l’image ?
Probablement. Mais c’est surtout la collaboration avec Alain Resnais qui a été riche d’enseignements, tant au niveau de l’écriture que de l’utilisation de la musique. Lui-même disait par exemple que le retentissement et la force de Nuit et brouillard étaient dûs à 95% à l’utilisation de la musique de Hanns Eisler. Il m’a appris à donner sa juste place à la recherche musicale, à ne pas en faire “la dernière roue du carrosse”. C’est aussi lui qui m’a fait découvrir Sondheim.
Avez-vous de nouveaux projets musicaux ?
Je vais reprendre mes concerts en tournée et à Paris dès que possible. Je commence aussi à écrire un nouveau film dans lequel la musique sera un élément central… sans qu’il s’agisse cependant d’une comédie musicale.
Par Marilyne Letertre
Photo de couverture © Radio France / Christophe Abramowitz