Rencontre
de la Musique
et de l'image

Agent de compositeurs par Quentin Boniface : « Il y a une vraie recherche de bonheur collectif dans ce métier »

Si l’on connaît les agents d’acteurs, les compositeurs de la musique à l’image ont aussi les leurs. Comme pour les comédiens avec leurs rôles, l’objectif est d’unir le bon compositeur avec le bon projet de film ou de série pour obtenir la meilleure œuvre possible. Quentin Boniface, fondateur de Grande Ourse et de 440Hz, nous explique les tenants et les aboutissants de son métier, entre créativité et gestion des droits d’auteur. 

En quoi consiste le métier d’agent de compositeurs ? 

Nous défendons les intérêts des compositeurs que l’on représente lorsqu’ils travaillent sur des projets audiovisuels. Plus largement, il s’agit de les accompagner, de faire en sorte qu’ils soient heureux dans leur carrière, qu’ils trouvent de bons projets, que leur musique soit produite dans de bonnes conditions, de communiquer sur leur travail et de s’assurer qu’ils touchent leurs droits d’auteurs. Mais, selon moi, c’est aussi faire en sorte que les producteurs soient satisfaits. Dire que l’on défend les intérêts des compositeurs, ce n’est pas agir comme un avocat qui ne défendrait que son client. C’est bien plus nuancé. Notre mission est accomplie quand nous avons réussi à faire exister un compositeur dans un projet avec un réalisateur et un producteur et, qu’à la fin, tout le monde est content. Il y a une vraie recherche de bonheur collectif dans ce métier. Créativement, en tout cas. 

Avec combien de compositeurs travaillez-vous au sein de votre agence Grande Ourse

En ce moment, j’ai dix compositeurs que l’on pourrait classer en deux grandes catégories. Parmi eux, il y a d’abord les “pure players” comme Mathieu Lamboley, Marc Chouarain, Marc Tomasi, Matteo Locasciulli ou Laurent Eyquem. Ce sont des compositeurs consacrés depuis longtemps à la musique à l’image, cinématographique, télévisuelle ou animée. Pour la plupart, ils ont un background assez classique et peuvent travailler sur dix projets audiovisuels par an. Puis, dans mon escarcelle, se trouve une deuxième catégorie de profils plus hybrides, des « convertis » à la musique à l’image tels que David Sztanke, qui s’était fait connaître grâce son groupe Tahiti Boy. Il vient de la pop et de l’indé mais se tourne désormais de plus en plus vers l’image puisqu’il a notamment composé pour des films de Quentin Dupieux et Jérôme Bonnell. Audrey Ismaël est un autre exemple. Elle a débuté dans le songwriting et, depuis quelques temps, s’impose dans la musique à l’image en composant pour des séries comme Les Grands de Vianney Lebasque (OCS) et Germinal de David Hourrègue (France 2). Parmi ces hybrides, certains continuent d’avoir une carrière principale non liée à la musique à l’image mais souhaitent développer cette nouvelle facette. On y compte Rone, une pointure de l’électro qui remplit les Zénith et qui a écrit la musique de La nuit venue (pour lequel il a décroché le César, NDLR), mais aussi Dom la Nena, une violoncelliste brésilienne qui joue aussi bien en solo qu’en groupe avec son duo Birds on a wire. Arnaud Rebotini était lui aussi une référence de la scène électro avant de signer, par exemple, les musiques de 120 battements par minute et Eastern Boys de Robin Campillo. Ces artistes-là ont une couleur très particulière que les réalisateurs et les producteurs viennent parfois chercher. 

L’idée est de proposer des talents qui soient suffisamment diversifiés pour constituer des options artistiques différentes. Il serait dommage de n’avoir que des profils qui se ressemblent. J’ai donc fait vraiment attention à constituer une équipe avec des artistes variés dans leur culture comme dans leur approche du son et de l’image. Par le biais de la pluralité, je souhaite revaloriser l’individu et montrer que les talents ne sont pas tous interchangeables. 

Comment se fait la rencontre avec les talents ? Ils viennent à vous ou vous allez les chercher ? 

En général, c’est plutôt eux qui viennent. J’ai monté cette agence il y a deux ans, mais je ne suis pas nouveau dans le métier : j’ai dirigé la musique chez Gaumont pendant dix ans. J’ai déjà collaboré avec une grande majorité d’entre eux avant même de lancer Grande Ourse. C’est d’ailleurs quelque chose que je peux “vendre” aux producteurs quand je parle de mes talents. Savoir que je les ai déjà vus à l’œuvre, en ayant été côté production, en ayant compris leurs problématiques, aura pour effet de les rassurer. 

A l’inverse, comment trouvez-vous les projets sur lesquels proposer vos compositeurs? 

Il y a deux grands cas de figure. D’un côté, il y a les projets entrants : des producteurs, réalisateurs ou superviseurs musicaux nous sollicitent directement, voire nous demandent spécifiquement un compositeur avec lequel ils ont déjà travaillé sur un précédent projet. Dans ce cas, le principe est de gérer au mieux cette nouvelle collaboration, de bien défendre le talent dans la négociation. Mais cela peut aussi signifier savoir s’effacer. Quand on représente un compositeur qui collabore pour la troisième fois avec un réalisateur, on ne met pas de friture sur la ligne. De l’autre côté du spectre, il y a les projets que l’on va chercher. Nous sommes alors dans une démarche de veille pour être à l’affût de tout ce qui se produit. Ce qui n’est pas toujours évident. On se base sur un réseau qui s’enrichit avec le temps et que l’on appelle régulièrement, sur la presse professionnelle, et, en temps normal, sur les festivals et les soirées. Beaucoup de choses se jouent dans ces moments plus informels. Mon rôle est alors de bien identifier le projet pour savoir quel talent serait le plus à même de lui correspondre. A chaque fois, je défends une vision artistique. Ma mission est de trouver le bon “fit”, même s’il arrive de se planter bien sûr ! (rires). Articuler la bonne musique avec le bon projet est essentiel. Cela nécessite du bon sens : on ne proposera peut-être pas un compositeur identifié techno hardcore pour une série en prime sur TF1 par exemple. Mais ce n’est pas tout. Dans cette notion de “fit”, il y a également une donnée culturelle ; on sait que deux personnes collaboreront mieux ensemble si elles ont des références ou une sensibilité communes. Parfois, c’est même presque politique. Il y a des “familles”, des clans, qu’il faut savoir identifier. Il faut comprendre la sociologie du milieu audiovisuel. Cela se construit avec le temps. Ça fait 15 ans que j’y travaille, et ce n’est jamais fini.

Vous avez également créé la société 440Hz, une plateforme de gestion des droits musicaux…

Oui, et il y a là une passerelle avec le métier d’agent. Pour moi, être agent ce n’est pas uniquement trouver des projets et bien les négocier. Il y a deux autres dimensions essentielles. Tout d’abord, je m’occupe de la production de la musique de mes compositeurs afin d’assurer avec eux la meilleure qualité possible pour le budget alloué, une prestation généralement facturée directement aux producteurs. Ensuite, je m’intéresse de près à la gestion des droits d’auteur. Il faut comprendre que, pour beaucoup de compositeurs, une part substantielle, parfois majoritaire, des revenus ne provient pas de ce qu’ils touchent quand ils travaillent sur une œuvre mais des droits générés par les diffusions télé ou les entrées salles. C’est dans cette dernière optique que j’ai créé 440Hz, une plateforme qui s’occupe d’optimiser la collecte des droits, que ce soit pour les compositeurs mais aussi pour les producteurs audiovisuels. Ainsi, cette plateforme est-elle également au service des compositeurs qu’on représente à Grande Ourse. Ne pas bien gérer cette problématique pour un agent serait passer à côté d’un enjeu majeur, selon moi. 

Concrètement, si un compositeur a participé à une série télé vendue dans 120 pays, il ne doit pas être dans le flou sur ce qu’il doit toucher et quand il va le toucher. Je dois être capable de lui dire les sommes qu’il peut attendre et aller les récupérer le cas échéant. L’objectif est, pour chaque partie, compositeur comme producteur/éditeur, d’éviter les fantasmes et les malentendus, et de maximiser le gain collectif. J’essaie de rétablir de la transparence et de l’équilibre dans ce milieu. 

Découvrez la musique des compositeurs de Grande Ourse sur ce lien. 

Par Perrine Quennesson

Photo de couverture © DR

Partager cet article

inscrivez-vous à notre newsletter

Suivez notre actualité, bla bla